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This is quite useless » Nabokov’s Lolita
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Nabokov’s Lolita

Oui, comme j’aimais à lui apporter ce café, et le lui refuser jusqu’à ce qu’elle eût accompli son devoir matinal. J’étais pour elle un ami si attentif, un père si passionné, un pédiatre si averti — et cet Humbert trismégiste savait combler les moindres désirs de chaque parcelle de son petit corps châtain et doré. Mon seul grief contre la nature était de ne pouvoir retourner Lo comme un gant pour appliquer ma bouche vorace sur sa jeune matrice, la nacre de son foie, son cœur inconnu, les grappes marines de ses poumons, ses reins délicatement jumelés. Par certains après-midi particulièrement tropicaux, dans l’intimité moite de la sieste, je goûtais avec ravissement la fraîcheur du fauteuil de cuir contre ma nudité massive et la chaleur de Lolita sur mes genoux. Là, ma fille — une enfant comme toutes les autres — se curait le nez en lisant les bandes dessinées du journal, aussi indifférente à mon extase que si elle se fût trouvée assise sur quelque objet, chaussure, poupée ou manche de raquette, dont elle n’avait pas l’énergie de se désencombrer.

Hans Belmer… Eugénie de Franval…

J’estime aujourd’hui que ce fut une erreur funeste de revenir sur la côte Est de placer Lolita dans cette institution privée de Beardsley, au lieu de franchir avec elle la frontière mexicaine, puis de vivre une couple d’années de bonheur subtropical dans une semi-clandestinité, jusqu’au jour où il m’eût été possible d’épouser sans crainte ma petite Créole : car je dois avouer qu’il m’arrivait parfois, dans la même journée, selon l’état d’irritation de mes glandes et ganglions, de passer d’un pôle d’insanité à l’autre — de la pensée qu’il me faudrait, environ 1950, trouver le moyen de me débarrasser d’une adolescente difficile dont la nymphescence magique se serait évaporée — jusqu’à la pensée que je parviendrais peut-être, la chance et la patience aidant, à lui faire procréer à son tour une nymphette, la petite Lolita II, qui aurait mon sang dans ses veines délicates et ne compterait que huit ou neuf ans vers 1960, alors que je serais encore dans la force de l’âge ; en fait, les facultés télescopiques de ma sensibilité, ou a-sensibilité, étaient telles que je pouvais distinguer à l’horizon du temps un vieillard encore vert — mais n’était-ce point vert-de-gris ? — le docteur Humbert, doux excentrique salivant, en train de pratiquer sur les charmes suprêmement exquis de Lolita la Troisième l’art d’être grand-papa.

Barbe bleu… Alice…

« J’essayais de te joindre à la maison, dit-elle gaiement. J’ai pris une grande décision. Mais d’abord, paie-moi un verre, papa. »
Elle regarda la pâle serveuse apathique garnir la coupe de glace, l’arroser de coca-cola, ajouter le sirop de cerise — et mon coeur à l’agonie se brisait d’amour. Ce poignet enfantin. Ma délicieuse fillette. « Vous avez une fillette délicieuse, monsieur Humbert. Nous l’admirons toujours en la voyant passer. »

Vladimir Nabokov, 1955.