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This is quite useless » La mort de Jocaste
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La mort de Jocaste

Le temps seul est capable de montrer l’honnête homme, tandis qu’il suffit d’un jour pour dévoiler un félon. (Créon)

Jocaste sait. Elle sait tout de la prophétie, et connaît les éléments qui en prouvent l’accomplissement. Elle refuse de s’avouer à elle-même cette fatalité. Dans le moment décisif, lorsqu’Oedipe est aux prises avec la révélation de Tirésias, elle expose les faits du passé avec candeur. C’est cette candeur qui, dans l’hypocrisie, lui donne consistance. C’est par elle qu’elle tient à l’écart la vérité. Et c’est dans la perversion de cette candeur qu’elle en vient à prononcer des paroles impies, niant les Oracles et abjurant Tirésias et les dieux. Sa mort révèle cette non-acceptation, cet ostentatoire refus de la réalité.

A peine a-t-elle franchi le vestibule que, furieuse, elle court vers le lit nuptial, en s’arrachant à deux mains les cheveux. Elle entre et violemment ferme la porte derrière elle. Elle appelle alors Laïos, déjà mort depuis tant d’années ; elle évoque « les enfants que jadis il lui donna et par qui il périt lui-même, pour laisser la mère à son tour donner à ses propres fils une sinistre descendance ». Elle gémit sur la couche « où, misérable, elle enfanta un époux de son époux et des enfants de ses enfants » !

Jocaste demeure dans le cercle de l’inceste, une redondance formelle qui multiplie la confusion et qui, révélée au grand jour, est auto-destruction de la forme. Tant qu’elle n’était pas révélée, une image protégeait le secret, l’image du sphynx, vanité filiale du gynécée. Cette image, Œdipe la déchire d’un hurlement, et la redondance commence alors son suicide.

Comment elle périt ensuite, je l’ignore, car à ce moment Œdipe, hurlant, tombe au milieu de nous, nous empêchant d’assister à sa fin : nous ne pouvons plus regarder que lui. Il fait le tour de notre groupe ; il va, il vient, nous suppliant de lui fournir une arme, nous demandant où il pourra trouver « l’épouse qui n’est pas son épouse, mais qui fut un champ maternel à la fois pour lui et pour ses enfants ».

Oedipe a déjà défait la redondance de l’épouse ; il va bientôt défaire celle du champ maternel par l’exil. Mais l’acte salvateur qui préside à cette résolution, c’est l’aveuglement volontaire d’Œdipe : par cet acte il rétablit et honore la distinction entre le pur et l’impur qui avait été ignorée et méprisée par Jocaste. Il se transperce les yeux, et c’est comme « mené par un guide ».

Sur quoi un dieu sans doute dirige sa fureur, car ce n’est certes aucun de ceux qui l’entouraient avec moi. Subitement, il poussa un cri terrible et, comme mené par un guide, le voilà qui se précipite sur les deux vantaux de la porte, fait fléchir le verrou qui saute de la gâche, se rue enfin au milieu de la pièce… La femme est pendue ! Elle est là, devant nous, étranglée par le nœud qui se balance au toit… Le malheureux à ce spectacle pousse un gémissement affreux. Il détache la corde qui pend, et le pauvre corps tombe à terre… C’est un spectacle atroce à voir. Arrachant les agrafes d’or qui servaient à draper ses vêtements sur elle, il les lève en l’air et il se met à en frapper ses deux yeux dans leurs orbites.

La sentence à laquelle il se soumet — l’exil –, c’est lui-même qui l’avait prononcée, alors qu’il ignorait encore être le meurtrier de son père. S’il est donc à la fois le juge et le jugé, c’est dans un processus qui est à l’inverse de la redondance formelle de Jocaste : il s’agit pour lui d’une soustraction. Car plus loin que la perception de l’image, c’est l’image elle-même qu’il détruit.

Œdipe n’avait jusqu’alors aucune individualité : il était pris dans l’accomplissement de la prophétie, et possédé par la candeur hypocrite de sa mère. Son premier acte authentique, c’est sa recherche de la vérité ; et lorsqu’il la trouve, il se trouve lui-même. Mais son premier acte en tant qu’individu, lui, n’apparaît pas dans l’Œdipe roi de Sophocle.

Nous quittons Œdipe versant des larmes de sang, à l’instant même d’un choix : celui d’errer sans père ni mère, héritier incestueux et meurtrier d’une famille pourrie, ou bien celui de s’intégrer la tragédie, de l’accepter pleinement, et, coupant à tout regret et à toute mélancolie en regard de la perte, de tracer lui-même désormais son chemin.