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This is quite useless » Cioran, « De la France »
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Cioran, « De la France »

« Un pays heureux dans son espace, à la personnalité géographique bien définie, réussie jusque sur le plan physique. Rien d’impitoyable dans sa nature, et aucun grand danger dans le sang. Elle a imposé une forme aux éléments germaniques de sa structure, a coupé leur élan et les a réduits à l’horizontalité. C’est pourquoi le gothique français est plus délicat, plus humain et plus accessible, que l’allemand, qui attaque les hauteurs comme un ultimatum vertical adressé à Dieu. Dans une certaine mesure, les cathédrales françaises sont compatibles avec le bon goût. Elles n’abusent pas de l’architecture ; elles ne la compromettent pas par la recherche de l’infini. Nous sommes dans un peuple de l’immanence, qui a créé le genre inimitable des détails subtils et révélateurs de l’existence dans le monde : l’ornement. Ainsi, rien de plus français qu’une tapisserie, un meuble, une dentelle. Ou, sur le plan architectural : un manoir ou un hôtel (dans le sens ancien du mot, d’hôtel particulier). Un souffle de menuet parcourt, doux et lisse, une civilisation heureuse. »

« La France — comme la Grèce antique — a été une province universelle. Ce sont aussi les seuls pays qui ont utilisé le concept de barbare, la qualification négative de l’étranger — n’exprimant par là rien d’autre que le refus d’une civilisation bien définie de s’ouvrir à la nouveauté. Un des vices de la France a été la stérilité de la perfection — laquelle ne se manifeste jamais aussi clairement que dans l’écriture. Le souci de bien formuler, de ne pas estropier le mot et sa mélodie, d’enchaîner harmonieusement les idées, voilà une obsession française. Aucune culture n’a été plus préoccupée par le style et, dans aucune autre, on n’a écrit avec autant de beauté, à la perfection. Aucun Français n’écrit irrémédiablement mal. Tous écrivent bien, tous voient la forme avant l’idée. Le style est l’expression directe de la culture. Les pensées de Pascal, vous les trouvez dans tout prêche et dans tout livre religieux, mais sa manière de les formuler est unique ; son génie en est indissociable. Car le style est l’architecture de l’esprit. Un penseur est grand dans la mesure où il agence bien ses idées, un poète, ses mots. La France a la clé de cet agencement. C’est pour cela qu’elle a produit une multitude de talents. En Allemagne, il faut être un génie pour s’exprimer impeccablement, et encore !
Qui ne connaît la clé pour avoir toutes les intuitions possibles, il demeure en marge de la culture. Le style est la maestria de la parole. Et cette maestria est tout. Dans le monde de l’esprit, les vérités platement exprimées ne persistent pas, alors que les erreurs et les paradoxes enveloppés de charme et de doute s’installent dans la quasi-éternité des valeurs — on sait que ces dernières ne sont que des paroles auxquelles nous consentons avec un sentiment de respect vague ou précis, selon les circonstances et notre humeur. »

« Chaque peuple a ses problèmes, auxquels il s’attache jusqu’à les épuiser ; ensuite, il s’en débarasse, en cherche d’autres et, quand il n’en trouve plus, il se repose au sein de son propre vide. Il est naturel que ces problèmes soient des illusions ; la question est de déterminer s’ils sont de qualité ou non. Les peuples de deuxième ordre cultivent des illusions médiocres qui ne peuvent susciter la réflexion, mais seulement de mépris ou d’amertume. »

« La France est le pays de la perfection étroite. Elle ne peut s’élever aux catégories supra-culturelles : au sublime, au tragique, à l’immensité esthétique. C’est pourquoi elle n’a pas donné et n’aurait jamais pu donner un Shakespeare, un Bach ou un Michel-Ange. Par rapport à ces derniers, Pascal lui-même est un maître du détail, un subtil ravaudeur du fragment.
Les réflexions des moralistes français — absolues dans leur irréprochable finition — sont toutefois modestes, comparées à la vision de l’homme chez un Beethoven ou un Dostoïevski. La France n’offre pas de grandes perspectives ; elle vous enseigne la forme ; vous donne la formule, mais pas le souffle. Ceux qui ne connaissent que cela sont atteints d’une stérilité grave, et son contact exclusif est véritablement périlleux. Ceci ne doit être utilisé que pour nous corriger des extrémités du cœur et de la pensée, comme une école de la limite, du bon sens et du bon goût, comme un guide nous évitant de tomber dans le ridicule des grands sentiments et des grandes attitudes. Que sa mesure nous guérisse des errances pathétiques et fatales. Ainsi, son action stérilisante deviendrait salutaire. »

« Tout le secret du bonheur résiderait-il dans la sensation ? Ce qui est sûr, c’est que la Renaissance et le XVIIIe siècle, les époques modernes qui l’ont cultivée avec le plus d’intensité, sont aussi les plus éloignées de la Crucifixion. La clé donnant accès aux doux secrets de la terre se trouve en dehors du christianisme. — L’intelligence et les sens peuvent s’accorder et même s’entraider. Mais quand intervient l’âme, avec ses incertitudes obscures, la paix est troublée. L’homme dévoile alors son essence souterraine ou céleste — et le plaisir, fleur de l’immanence, se fane. Être superficiel avec style est plus difficile qu’être profond. Dans le premier cas, il faut beaucoup de culture ; dans le second, un simple déséquilibre des facultés. La culture est nuance ; la profondeur, intensité. Sans une dose d’artificiel, l’esprit humain se brise sous le poids de la sincérité, cette forme de barbarie. »

« Mais les idéaux de 1789 se sont altérés ; il ne reste de leur prestige qu’une désuète grandiloquence. La plus grande révolution moderne finit comme vieillerie de l’esprit. Qu’a-t-elle été ? Une combinaison de rationalisme et de mythes : une mythologie rationaliste. Plus précisément : la rencontre de Descartes et de l’homme de la rue. »

« Les Français ne peuvent plus mourir pour quoi que ce soit. Le scepticisme cérébral est devenu organique. L’absence d’avenir est la substance du présent. Le héros n’est plus concevable — parce que personne n’est plus inconscient ni profond.
Une nation est créatrice tant que la vie n’est pas sa seule valeur, tant que ses valeurs sont ses critères. Croire dans la fiction de la liberté et mourir pour elle ; participer à une expédition pour la gloire ; considérer que le prestige de son pays est nécessaire à l’humanité ; substituer à cette dernière ce en quoi l’on croit, voilà les valeurs.
Tenir davantage à sa peau qu’à une idée ; penser avec l’estomac ; hésiter entre honneur et volupté ; croire que vivre est bien plus que tout, voilà la vie. Mais les Français n’aiment plus qu’elle, et ne vivent plus que par elle. Depuis longtemps, ils ne peuvent plus mourir. Ils l’ont trop souvent fait dans le passé. Quelles croyances s’inventer ? Leur manque de vitalité leur a montré la vie. Et la Décadence n’est que le culte exclusif de la vie.
Vivre est un simple moyen pour faire. Dans la décadence, cela devient un but. Vivre ainsi, voilà le secret de la ruine. »

« La culture absorbe les réserves de sensations, elle est un tombeau du cœur, une économie d’énergie sur le compte du sang. Chaque preuve du génie français — une église, une maxime, une bataille — renferme un plus de présent et un moins d’avenir. L’actualisation d’un peuple — la traduction en signes de ses non-dits dynamiques — dévoile une vitalité qui annonce une fin. La création mène à la mort, sauve les formes objectives de l’esprit et tue les forces vitales de l’âme. Sous la culture gît le cadavre de l’homme. C’est tout le vide des Français d’aujourd’hui. Et ce tout est beaucoup. »

« La décadence est la contraire de l’époque de grandeur : c’est la retransformation des mythes en concepts. »

« Quant à l’ironie, dépourvue du soutien de l’orgueil, elle n’a plus de sens qu’en tant qu’auto-ironie. »

« L’Allemagne, l’Angleterre et la Russie sont les pays des inégalités géniales. Leur absence de forme intérieure détermine leur évolution entre sommets et gouffres, entre excès et sérénité. Seule la France s’est régulièrement développée de sa naissance à sa mort. C’est le pays le plus accompli, qui a donné tout ce qu’il pouvait donner, qui n’a jamais manqué le coche, qui a eu un Moyen Âge, une Renaissance, une Révolution et un Empire. Et une décadence. C’est le pays qui a fait son devoir. C’est le pays de l’accomplissement. »

« Être alexandrin, c’est-à-dire lyrique et froid ; participer de tout cœur, mais avec objectivité ; déborder spectaculairement. Impossible de ressentir autrement le passé et le présent.
Un pays qui ne vit plus dans le possible, que vous inspire-t-il, sinon une tendresse ironique ? »

« Quand on ne croit à rien, les sens deviennent religion. Et l’estomac finalité. Le phénomène de la décadence est inséparable de la gastronomie. (…) Les Français savent depuis plus d’un siècle qu’ils mangent. Du dernier paysan à l’intellectuel le plus raffiné, l’heure du repas est la liturgie quotidienne du vide spirituel. La transformation d’un besoin immédiat en phénomène de civilisation est un pas dangereux et un grave symptôme. Le ventre a été le tombeau de l’Empire romain, il sera inéluctablement celui de l’Intelligence française. »

« Si les Français n’étaient pas dégoûtés d’eux-mêmes, ils mériteraient le mépris. »

Mon destin est de m’envelopper dans les scories des civilisations. Comment montrer ma force autrement qu’en résistant au milieu de leur pourriture ? Le rapport entre barbarie et neurasthénie équilibre cette formule. Esthète du crépuscule des cultures, je pose un regard d’orage et de rêves sur les eaux mortes de l’esprit…
Dans l’onde si calme de la Seine je vois se refléter mon avenir mort comme celui de la Ville, et j’abandonne au fleuve indifférent ma fatigue tremblante.

 

« L’avenir humain se déploie entre deux pôles : le pastoralisme et le paradoxe. La culture est une somme d’inutilités : le culte de la nuance, la complicité délicate avec l’erreur, le jeu subtil et fatal avec l’abstraction, l’ennui, le charme de la dissolution. Le reste est agriculture. »

« Un peuple a de la vitalité tant qu’il accumule des forces dangereuses pour lui et pour les autres. Mais quand le déséquilibre et la révolte commencent à se neutraliser, quand chaque instant du présent n’est plus l’occasion de crise féconde, d’avenir, sa tension ne dépasse plus le seuil du temps. Il devient dépendant du temps. Et les événements l’accablent. Le phénomène de la décadence révèle le glissement vers la dépendance au temps. Aucun pouvoir souterrain ne surgit pour imposer une nouvelle configuration à l’histoire. Le devenir signifie alors inertie de la dissolution, impossibilité de la surprise. »

« Un pays avancé ne souffre d’aucune complicité avec un quelconque idéal. Il rassemble en lui tout ce qui pourrait constituer une négation du gothique, c’est-à-dire de l’élan, de la transcendance, de la hauteur. Son énergie ne tend pas vers le haut, elle penche. La France est Notre-Dame reflétée dans la Seine — un cathédrale refusant le ciel.
Un individu, une civilisation avancent en dehors de la vie. Tout progrès implique un équivalent de ruine. Sur le plan historique, la progression absolue équivaut à une fin de mission ; pour l’individu, à l’impossibilité de vivre. »

« Il faudra, avant qu’elle n’ait totalement épuisé ses possibilités de régénération sociale, que l’ivraie — la populace* — triomphe, qu’elle fasse son apparition. La vie n’existe plus qu’en banlieue*. Une France prolétaire est désormais la seule possible. Sauf que sa classe ouvrière n’a ni ressources d’héroïsme ni élans renversants. La carrière révolutionnaire de la France est virtuellement terminée. Elle ne peut plus se battre que pour son estomac. »

« Couler avec cet immense matériaux, quel sort enviable ! Mais combien sont en état de goûter ce trop-plein de la décroissance ? Pour vivre en vibrant le vide débordant du soir spirituel, il faut non seulement éduquer notre sens historique, mais aussi nous distancer du monde, cultiver une certaine sensibilité néronienne sans la folie, un penchant pour les grands spectacles, pour les émotions rares et périlleuses, pour les inspirations audacieuses. Celui qui n’aime pas l’attrait équivoque des carrefours, que peut-il chercher en ces temps où craquent les articulations d’une civilisation et fermentent des formes nouvelles dans d’autres contrées — le chaos ? »

« Une nation apoétique. N’est-il pas significatif que Baudelaire et Mallarmé — le premier, grand poète, le second, grand artiste — se soient nourris de la substance poétique de l’Angleterre, qu’ils soient des anglicistes dans l’intimité de leur cœur, et pas seulement par formation intellectuelle ? La France n’a pas suffisamment d’ouverture sur le chaos, sur le drame de l’imperfection et sur les gestations cosmiques. Une culture acosmique est une culture sans grands poètes. Que peut-elle opposer ne serait-ce qu’au préromantisme anglais ? »

« Un pays aux lacs de pensée, mais sans suggestion océanique… »

« En Espagne, un Van Gogh aurait été une apparition naturelle ; en France, il a quelque chose d’apocalyptique. Le frisson orgiaque n’entre pas dans les cartes de l’esprit français, qui s’est défini par opposition aux tréfonds de l’homme et aux oracles de l’âme. »

« Saurez-vous, en regardant mourir un peuple, renforcer vos convictions chétives, vous dresser avec la fureur du mal intérieur contre la tentation de la contagion ? La vue des grandes dissolutions nous envenime et nous durcit. Le venin sape notre fière constitution, mais la volonté de ne pas périr provoque la réaction. Refuser de s’éteindre, bien qu’on se soit délecté de la marche certaine vers l’extinction. Faire son destin de la contestation du destin, guerroyer contre la fatalité, voici la conclusion victorieuse des spectacles historiques. Bien que je comprenne infiniment mieux les Romains de la fin, ramollis par le vice, l’incrédulité et le luxe, que ceux de la grandeur, âpres, sains et confiants dans leurs idoles, je conserve quelque part le respect pour les autels de l’illusion et les temples jamais ébranlés par l’ironie. Lorsque Caton l’Ancien disait que deux augures ne pouvaient se regarder honnêtement en face sans éclater de rire, je le crois, non sans regretter les vitales superstitions. Une fois nos symboles abolis par la lucidité, la vie est une flânerie amère parmi des temples abandonnés. Comment vivre encore avec les seules ruines des dieux ? L’exhortation à exister me pousse vers le rêve d’autres tromperies ; je n’ai pas traîné dans les décadences sans éprouver le besoin des mensonges entraperçus. La palpitation de la sève requiert la conquête d’un territoire vacant ; des élans conquérants vous agitent dans les cimetières. Le Barbare s’est réveillé. C’est la seule réponse — celle de la vitalité — aux doutes de la connaissance. »

« Qui trop embrasse, falsifie le monde, mais en premier lieu, lui-même. Nous n’avons plus les moyens de nous y retrouver. Mais la France est une école de l’embrassement limité, une leçon contre le moi illimité. Qui n’est pas passé par là risque de vieillir en apprenti des virtualités. Une âme vaste enclose dans des formes françaises, quel type d’humanité féconde ! »

« Ce qu’il faut à notre palpitation vitale, c’est un correctif catégoriel. Le pathos déchaîné, sans contrainte normative, conduit à la désarticulation de l’esprit, à un gothique dévergondé qui, par son élan, réduit son style à néant. Une barbarie dans les catégories, tel est le seul moyen de conjuguer fertilement la vie et l’âme. Sinon, l’irrationnel rabaisse la culture au niveau des trop terrestres Balkans, tout comme le règne des modèles abstraits mène à l’ossification de la France. Le paradoxe des temps qui viennent sera-t-il défini par les extases pour [un mot indéchiffrable] et le culte de la géométrie, par l’abandon simultané à la passion et la pensée ?
Je rêve d’une culture d’oracles en logique, de Pythies lucides…, et d’un homme qui contrôlerait ses réflexes par un supplément de vie, et non par austérité. »

Celui qui a mené les dissolutions à leur terme peut encore se retrouver, tandis que celui qui est resté parmi elles est perdu. Vous avez vécu une décomposition, mais, si vous en avez la force, vous vous refaites ; des vibrations cachées vous ramènent à l’horizon vital de l’avenir. Mais n’allez pas juger de votre courage dans le partage des pourritures objectives. Les vôtres, vous les avez goûtées jusqu’à plus soif ; les autres, vous ne les goûterez pas moins. La thérapeutique mineure de la  modération mène au ratage ; celle de l’audace, à l’écroulement ou à la renaissance. Vous avez été un cadavre parmi les cadavres du monde ? Alors vous méritez un printemps sous d’autres horizons. Avec l’histoire, il faut lutter ; avec le passé, être tout aussi impitoyable qu’avec le présent. Qui cherche une époque par timidité ou érudition est paisible et lâche. Considérez toute l’histoire universelle comme le champ de développement de votre bravoure. Et si vous n’avez pas l’élan guerrier, transformez-la en rêve, pour que le prétexte de l’irréalité excuse la sieste de vos instincts.

 

« Un pays est grand, moins par le haut degré de fierté de ses citoyens, que par l’enthousiasme qu’il inspire aux étrangers, par la fièvre qui transforme en satellites dynamiques des gens nés sous d’autres cieux. (…) Nous tous qui avons perdu des jours et des années sur ses chemins, nous avons versé les innocences de notre cœur dans une tendresse que nous ne regrettons pas, même si, ce faisant, nous avons perdu la possibilité d’être un jour féconds sur un sol natal éloigné par l’espace et plus encore par notre nostalgie*.  Que nous lui ayons donné un jour la meilleure part de nos convictions, ou que nous nous soyons délectés dans les déceptions comme dans d’expertes occupations, quel autre pays aura réuni des hommages et des refus plus flatteurs ? Nous l’avons tant gâtée que, dorénavant, ni elle ni nous ne trouverons d’autre occasion de rencontre lyrique.
Nous réglerons des comptes sous d’autres cieux, mais sans élan et sans révérence. Quelque chose d’elle est passé en nous, quelque chose qui a massacré en nous l’innocence de l’âme. Où trouver des stimulants pour d’autres naïfs enfantements ? La graine d’enfance qui donne naissance au temps a perdu sa vigueur dans un pays désensemencé de son avenir par un trop-plein de passé. Notre errance vers autre chose est trop souvent étranglée par l’endiguement dans le mal d’une nation sur le point de clore sa raison d’être. Nous portons sur les épaules et en pensée des échos de sa fin. C’est peut-être pourquoi nos idées ont quelque chose de la monotonie du pouls et des agonies certaines. Dans quelque direction, sur quelque plateau ou sentier que nous orientions nos pas, la France ne mourra pas seule, nous expierons ensemble le goût saugrenu de la fugacité. Et quelque espoir que nous entretenions, le fardeau de cet héritage nous rejettera, c’est certain, du cœur de l’avenir vers ses confins. »

 

 

Extraits de Cioran, De la France (écrit à Paris en 1941),
trad. du roumain revue et corrigée par Alain Paruit, Carnets de L’Herne, 2009.
Les * indiquent les mots en français dans le texte original.