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This is quite useless » The meaning of things
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The meaning of things

*Cher ami,

Je suis en train de lire un bouquin dont les premières pages me captivent, à propos de cette manie compulsive qui consiste à amasser, entasser, empiler chez soi toutes sortes de choses, et à vivre ainsi dans des appartements que ces possessions rétrécissent en couloirs exigus et labyrinthiques.
Le bouquin en question, « Stuff », que j’ai acheté cet après-midi pour 7$ dans la grande librairie The Strand, NYC, où je suis arrivé vendredi comme tu t’en es peut-être aperçu, porte sur sa couverture le sous-titre suivant : « Compulsive hoarding and the meaning of things » ; c’est là que mon esprit bifurque (là aussi tu t’en doutes que j’ai pris le livre pour l’acheter, l’emmener avec moi et, un jour, le mettre dans ma bibliothèque.) J’ai dans ma tête un certain nombre de pensées, et je, moi, sais, quelles sont les miennes et quelles sont celles par moi invitées, et par d’autres, forcées en moi, que mes faiblesses ont laissé passer, ou dont la transmigration à l’intérieur de mon karma mental n’est pas encore parvenu à ce point de libération où, miennes ou pas miennes, mes pensées sont à l’axe de la balance ce que je suis dans mes meilleurs jours à ma colonne vertébrale : un poids intégralement interprété comme force de gravité.
Je marche dans la rue certes mais aussi bien je suis marché dans la rue et, au stade suivant de ce développement qui ne s’exerce qu’en subsumant ses stades précédents, c’est la rue qui me marche et les gens que je croise et telle petite trace de peinture sur le chambranle d’une porte qui, si tu me passes pour l’heure cette expression à défaut d’une plus précise, « désirait » d’être perçue. Le sens des choses commence là. Avant, il n’y a qu’un sens utilitaire aux choses, et leurs valeurs, telles que typiquement définies par Marx, mais en elles-mêmes les choses n’ont pas de sens. Elles n’en auraient donc que pour nous, voilà qui est très flatteur ! Mais revenons en-deçà de ce déplacement, et même encore d’un cran : car la question qui se pose est bien de savoir à quel moment une chose devient « une chose ». Et je repensais à ton étude de la décapitation dans l’art, avec ces figures incroyables que tu me montrais et qui nombreuses m’exprimaient une volupté franchement suspecte. Hier, je terminais « Les onze mille verges » d’Apollinaire, un vrai charnier, et je suis frappé à présent par un épisode similaire par sa volupté à celui de la chute du couperet : le prince Vibescu y jouit d’une femme à l’instant même où celle-ci trépasse. Il y a dans une nouvelle d’Anaïs Nin un tableau du même accabit : une femme, le corps comprimé au milieu d’une foule venue assister à une pendaison publique, se fait enculer par un homme, assaut contre lequel elle ne se débat guère, et elle jouit, bien sûr, au moment où le vide s’ouvre sous les pieds du condamné. L’excitation dissipée, la décharge accomplie, vit et con retombent en état d’objet au regard de l’autre, tandis qu’au cours de la copulation il y avait participation active de soi au corps signifiant de l’autre et vice versa. L’éros, ou pour ne pas s’enticher de mots grecs, le désir, serait donc le véhicule (sans doute pas le seul) de cette transmutation ; et clairement aussi il n’en est pas la fin.
L’idée génial de ton travail m’apparaît alors dans cette association entre deux types d’escamotage : celui qu’opère la guillotine en tranchant le fil de la vie, et celui qu’opère le prestidigitateur en simulant cette coupure. Car ce n’est pas ce qui est représenté par la simulation qui touche au réel de ce qu’il représente, c’est l’acte même de la simulation, qui devient si l’on veut un acte au carré, ou pour le mieux dire, un geste (qui subsume toutes les répétitions possibles de l’acte sans en être affaibli, là où l’acte simple, non couplé au simulacre, décharge et retombe dans l’objet dénué de sens). Vois-tu, dans cette nouvelle d’Apollinaire, la rage infâme que mettent les protagonistes à s’enculer dix fois de suite et à terminer leurs jouissances parmi les cadavres, a justement cette puissance du geste, et on le voit très vite en lisant ce livre, il y a une fraîcheur métaphysique qui n’est jamais démentie par l’auteur et qui fait que justement ce livre est un simulacre parfaitement réussi et non une ressucée de scandale propre à faire jouir la tête des bourgeois.

J’ai mis trois jours à cela, mais aujourd’hui dans le métro j’ai commencé à éprouver du plaisir. Cela est venu par un rythme, c’en fut l’amorce, le rythme d’un gars qui, assis contre un pilier, un pot de peinture entre les jambes, y tapait et tapait dessus avec deux baguettes de bois clair et frondait de sons battus à la jatte, à la machine à laver et à la marche guerrière écossaise, mes tympans roulés à de plus longs intervales par le tambour des wagons heurtant les fers et le crissement des roues sur les voies. Cela, je le découvris plus complétement lorsque je sortis mon téléphone et enclenchait sa fonction dictaphone. L’enregistrement du monde (« le sabre », aurait dit Daniil Harms, qui savait qu’il existe à cette fin mille médiums différents ; ce qu’Artaud aussi savait lorsqu’il parle dans l’une de ses lettres des garçons coiffeurs) a débuté, il ne demandait que ce carré d’amorce. A partir de là, mes oreilles changent d’état, et cessant bientôt de n’être que réceptrice d’événements externes, elles sont intégrées dans ma noéhylozoèse, le mouvement holotopique de ma conscience dont le champ, couplé à l’ouïe et à toutes les perceptions spatiales de l’oreille interne, s’étend, se couvre de plis, d’obstacles, de ponts creux, de facettes plus ou moins absorbantes et résonnantes. L’espace-son est alors dans le même moment immédiatement intelligible, comme en une expérience de socio-psychologie en direct, ou autre, et cette attitude qui implique d’ordinaire un retrait est ici pour ainsi dire immédiatement versé dans le son, il est de la conscience projetée, et qui transforme tout ce qu’elle embrasse, à la manière de la pierre philosophale des alchimistes, dont il est, soit dit en passant, fort légitime de penser qu’elle n’était autre que cet aptitude enregistrante, naturante, de la conscience humaine, entendue (révélée) dans sa puissance noéhylozoïque (interprétation trans-objective vitale).

La conscience projetée s’achoppe à ce qu’elle rencontre et, quel que soit le propriocepteur qui en est l’opérateur, et dans cette opération toujours doublé par sa noématique, elle recense, sélectionne et valorise les éléments rencontrés. Un son désagréable ? Un parfum auquel colle un souvenir, une chanson adorée qui devient inaudible, etc. et l’interprétation maîtresse de la noématique concernée, informe la propriaction dans le moment où celle-ci opère à travers le champ de projection. La plupart des humains s’activent ainsi aux « choses de la vie » sans même y penser, ou presque, et la majorité du temps sans y jeter un second regard. Mais ce n’est rien de si évident. Le livre dont je te parlais au début de mon galimatia, « Stuff », m’en a donné une confirmation : l’auteur y raconte l’histoire de cette femme, Irene, qui parmi l’incroyable accumulation d’objets, tous signifiants à ses yeux, dont sa maison était l’abri, avait mêlé des billets de banque et des chèques, mais sans rendre les objets contenant ses moyens financiers repérables d’une quelconque manière parmi les piles de choses dont l’organisation était seulement partielle et sporadique. La valeur que cette femme donnait aux choses était la même PARTOUT, la distribution parfaitement homogène ; mais si manquait à première vue ce troisième degré d’une distribution hiérarchisée de la valeur, le repérage et la sélection étaient quant à eux parfaitement opérationnels et opérés. Nous pouvons de là conclure que la distribution de la valeur n’existe qu’à travers le sens dont Irene investit l’univers, et la situation générale révélée par cette mise en relief singulière. Le problème apparaît alors de savoir comment des hommes si nombreux donnent de la valeur aux choses sans savoir au juste pourquoi, sans avoir pour ces choses d’autres relations que celles projetées en eux par ces roues mêmes qui tissent leur réalité et filent leurs enjeux. Irene n’est pas plus ou moins libre, elle se trouve seulement au point paroxystique de la transmutation d’une non-chose en chose, et s’active tous azimuts à cette transmutation.

J’ai pris ce matin mon sac à dos et suis parti arpenter les rues de Nova York. J’y suis encore, il est deux heures et quelque du matin, à découvrir des perspectives et des éléments qui échappent à la vision diurne, ainsi qu’à celle de ceux qui savent où ils vont aller dormir. Sur mes épaules dures comme du bois j’ai mon sac ordinaire, avec mes fringues, ma trousse de toilette, mes bouquins, et un petit sac à l’épaule avec les bouquins que je lis, une ou deux provisions et vêtements d’appoint. C’est ma carapace de tortue, mais la carapace est aussi psychique. Je lisais l’autre jour ces vers de Witter Bynner :
 »
But for these apertures
Said the turtle
Man would not have lost
The address of the gods

He hid it in here
In my shell
And I have had no use for it
Yet
 »
(New poems 1960)

J’en suis venu à une autre conclusion, tautologique et que je ne traduirai en français que maladroitement : « somewhere is somewhere », qu’importe au fond le lieu, si aucune conscience n’y existe et ne s’y joue. En remontant la 5e avenue presque vide, reprenant dans ma nocturne poitrine les inflexions des buildings et les lumières inhumaines de la métropole, j’ai soudain senti l’odeur de résine qui s’échappait du corps de ces pauvres sapins plantés dans des grosses jarres au bord du trottoir et couverts de loupiotes en guirlande. Je m’en suis approché et j’ai reniflé cette odeur à plein nez. Cinq blocs plus loin, passé Grand Central, je me suis arrêté boire un gin dans un bar ; deux filles causaient avec le barman sur un fond de musique débile, tandis qu’un ultime client, la tête pendante sur la poitrine, dormait en soubresauts, et que je sortai un bouquin et des boules quies, et j’entendis alors les mouettes rire de leu meilleur rires au-dessus des épaves.
Je reprend la route. A 4h je suis à Time Square, au milieu des énormes enseignes publicitaires, des nettoyeurs, des ouvriers et des clochards. J’entre dans un sex-shop où je me demande aussi « why grandma is on grandpa ? 2″. Puis je trouve un café-épicerie ouvert 24/24, où je lis le début de « Strange waters » de George Sterling et où je réfléchis à ce régime d’accumulation : et… et… et… (puis… puis… puis… dans la narration) et non plus ceci OU cela comme l’avaient noté Deleuze et Guattari. Donc pas de choix dans ce qu’on vit en fonction de la valeur attribuée, mais des listes d’événements et des historiques d’actions où le système immunitaire pourrait tout aussi bien repartir de zéro, puisque, si le cas était absolu, il n’y aurait aucune expérience réellement acquise, mais les mêmes expériences certes versatiles mais sans cesse recommencées sur un même plan continu d’existence.
Il est peut-être doux de croire à pareil état des choses, cet état fleuve, ce degré zéro du karma, où le fleuve est tout et la conscience un torticoli à pagaies. Reste que c’est une connerie. L’exigence de soi en tant que singularité est réprimée et va se loger dans des minuscules boîtes où elle prend la forme d’un savon qui fait plein de bulles de conscience ; et bientôt la conscience a tellement été lavée dans le fleuve qu’il n’en reste qu’un peu de matière qui se colle sur les bords.

Bref, il y a des choix bons et d’autres mauvais, tout le monde en convient, dans la mesure où un apprentissage découle d’une expérience, qui dans son processus est itérative, les adultes comme les enfants n’apprenant que dans la répétition, jusqu’au moment où l’intégration d’un ensemble signifiant est produit, où une noématique devient présente à sa propre noése et où réellement l’on peut parler d’une noéhylozoé, le fleuve et la vie étant exhaucés dans cette synthèse. Il ne s’agit plus seulement d’actes isolés, tous légitimables par des raisons et des causes (Spinoza, second genre de connaissance), mais bien d’un geste qui subsume toutes les légitimations dans une création de sens immédiate (Spinoza, troisième genre de connaissance).

Cette absence de médiation, c’est celle qui paradoxalement se joue dans le simulacre, acte qui est accompli à rebours du droit, puisqu’il n’utilise la jurisprudence de la propriaction que pour rebondir de la cause vers l’effet, et que cette pure recherche d’effet creuse le droit et à travers cette désitération se constitue en puissance, c’est-à-dire en geste constitué, apte à naître un nombre infini de fois, dans la pensée et/ou dans les corps.

ET/OU

ou tout simplement une étoile à six branches, puisqu’il y a six possibilités de commutation, carrefour où chacun mûrit la décision de sa nécessité et de son hasard.

à suivre, bien sûr…