JULIUS EVOLA


Ecrits de UR & KRUR

[« introduction à la magie »]

UR 1927

 

Traduction de Gérard Boulanger

Éd. Archè, Milano, 1983

 

 

 

Table des matières:

•  Introduction de Gérard Boulanger

•  Note de l'éditeur

•  Aux lecteurs (le problème du Moi, la science du Moi, nos directives)

•  Comment nous posons le problème de la connaissance

•  Comment nous posons le problème de l'immortalité

•  Sur la conception magique de la vie

•  La doctrine du “corps immortel”

 

 

 

Introduction de Gérard Boulanger

 

Pour le public français, la récente traduction du Chemin de Cinabre [ Note : J. Evola, Le chemin de Cinabre , Arché-Arktos ; Milano-Carmagnola 1982] aura notamment permis de jeter enfin quelque lumière sur l'expérience, jusqu'ici enveloppée d'un épais mystère, du fameux « Groupe d'Ur » dont Julius Evola fut la figure de proue.

Même s'il fut, statutairement, le responsable aussi bien moral que légal des monographies publiées par le Groupe, Evola s'est toutefois toujours considéré comme un collaborateur parmi d'autres. C'est cet effacement derrière l'œuvre commune qui explique la relative brièveté du chapitre qu'il y consacra dans son autobiographie et celui qui, d'aventure, l'interpréterait comme on ne sait quel désaveu commettrait une singulière erreur de jugement. Car l'expérience d' Ur , loin d'être un péché de jeunesse, une parenthèse dans son œuvre, est au contraire une période-clef et un tournant décisif. Ainsi que le rappelle très justement Renato Del Ponte : « De quelque façon qu'on la veuille considérer, l'expérience qui amena J. Evola, vers la fin des années vingt, à fonder le « Groupe d'Ur » revêt aujourd'hui encore une très grande importance dans le cadre de l'ensemble de son œuvre si l'on songe, par exemple, qu'au moins deux de ses principaux ouvrages, Révolte contre le monde moderne et La tradition hermétique, sont contenus en germe (...) dans certaines des monographies publiées par le Groupe » [ Note : Evola e l'esperienza del « Gruppo di Ur » in « Arthos », n° double 4-5, Gênes 1973-1974, p. 177].

 

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La période 1924-1927 avait vu paraître deux revues à l'existence éphémère, Atanòr et Ignis , exclusivement consacrées à l'exposé des doctrines initiatiques et ésotériques. Sous la ferme direction d'Artura Reghini, ces publications rendaient compte d'études et de recherches effectuées avec la plus grande rigueur en se référant directement aux sources originelles. C'est sur ce créneau que le Groupe d'UR entendait également combattre, mais en mettant l'accent davantage sur le côté pratique et expérimental que sur celui purement spéculatif ou simplement philologique.

De ce travail, qui était donc d'abord un travail sur soi, naquit à Rome en janvier 1927 la revue «  UR  » dont les éditions Arché proposent aujourd'hui au public français les articles qu'y écrivit J. Evola sous la signature « Ea ».

 

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On trouvait de façon régulière dans « UR » trois rubriques principales :

•  une partie « Doctrine et culture ésotériques », consistant dans l'exposition de méthodes, de disciplines et de techniques de réalisation, où l'approfondissement du symbolisme (principalement hermétique) avait une place privilégiée ;

•  une partie « Pratique », qui corroborait la partie doctrinale par la relation d'expériences effectivement vécues par certains membres du Groupe ;

•  une dernière partie consistant : d'une part à faire connaître des textes ésotériques, rares ou même inédits, convenablement présentés et annotés et, d'autre part, en des résumés d'ouvrages de caractère doctrinal accompagnés, si le besoin s'en faisait sentir, de mises au point critiques et polémiques dont l'humour caustique n'était pas absent.

Destinés à être réunis en volume en fin d'année, dix fascicules parurent en 1927, dont deux doubles et un triple, en 1928. C'est en octobre de cette même année que la revue dut se séparer de deux de ses co-directeurs, Giulio Parise et Artura Reghini : « Malheureusement, une scission eut lieu au sein du groupe vers la fin de la deuxième année, pour des raisons obscures mais qui faisaient suite, surtout, à une tentative de m'arracher des mains la publication des monographies afin de la faire contrôler par des éléments (cela fut déclaré ouvertement plus tard, lorsqu'il n'y eut plus aucun risque politique à le faire) qui maintenaient en vie la Maçonnerie, malgré son interdiction durant la période fasciste » [Note : Cf. Le chemin de Cinabre , op .cit., p. 80] .

Suite à cette scission, J. Evola demeura donc l'unique responsable de la revue qui, sous le nom de KRUR , fit paraître en 1929 huit fascicules dont deux doubles et un triple. Dans le dernier numéro, paru en décembre 1929, estimant que les objectifs que le Groupe s'était fixés trois ans plus tôt dans le domaine technique de l'ésotérisme avaient été atteints, il est annoncé : « En 1939, Krur paraîtra sous une autre forme : non plus comme un fascicule mensuel, mais sous la forme d'un bimensuel de combat, de critique, d'affirmation et de négation (…) qui aura pour titre La Torre  » [Note : Cf. op. cit. chap. VII : « L'expérience de « La Torre » et ses prolongements ».]

 

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L'anonymat des collaborateurs étant une règle fixée dès le départ, ceux-ci écrivaient donc sous divers pseudonymes. A titre anecdotique, on notera que, s'il est généralement bien connu que derrière la signature « Ea » se celait la personnalité d'Evola et qu'Arturo Reghini signait « Pietro Negri », on sait moins que « Luce » était G. Parise ; « Leo », l'anthroposophe Colazza ; « Havismat », Guido De Giorgio, « Taurulus », Reginelli, « Rud », Domenico Rudatis, « Abraxa » l'hermétiste Ercole Quadrelli (« Quadreracles, auteur d'une traduction italienne du traité alchimique Chymica Vannus , publiée par Arché) et « Sirio », le poète Arturo Onofri.

Deux d'entre eux [Note : Le lecteur désireux d'en savoir davantage pourra se reporter utilement au Chemin du Cinabre , pp. 68-70 et 87-88] méritent une attention particulière : Arturo Reghini, qui collabora au Voile d'Isis et par qui Evola entendit parler pour la première fois de Guénon, élément particulièrement valable mais dont la susceptibilité personnelle fut notamment la cause de sa rupture avec «  UR  » en Octobre 1928. Le second est Guido de Giorgio, lui aussi très estimé de Guénon, « sorte d'initié à l'état sauvage » qui, en raison de son aptitude à dramatiser et à dynamiser le concept de Tradition, eut une profonde influence sur Evola.

L'originalité d' UR et, ajouterons-nous, sa valeur exemplaire, résidaient principalement dans l' expérimentalisme propre au Groupe.

Partant d'un constat, la crise du monde moderne, la revue s'était fixé pour objectif de répondre — non par de vains discours mais par des consignes précises — aux problèmes d'ordre pratique auxquels se trouvait confronté le petit nombre de ceux qui, fermement décidés à dissiper les brouillards de la « réalité » quotidienne et des valeurs couramment admises, entendaient s'ouvrir une nouvelle voie existentielle.

Pour UR , accéder à une vision directe de la Réalité ne pouvait passer que par la connaissance transcendante de pratiques magiques, seuls susceptibles d'opérer chez l'adepte un véritable changement d'état et débouchant sur l'opus transformationis alchimique : « Se transformer, telle est la prémisse de toute connaissance supérieure — laquelle ne connaît pas des « problèmes », mais uniquement des devoirs et des réalisations » [Note : UR 1928.] .

En tournant résolument le dos à toutes les variantes du néo-spiritualisme contemporain — avec ses aberrantes pratiques spirites, son théosophisme humanitaire et son « occultisme » [Note : Sur le plan de la forme, signalons qu'Evola faisait à l'époque un usage parfois immodéré de ce mot si peu heureux d'occultisme.] mystificateur — il s'agissait donc de renouer avec l'authentique enseignement initiatique en redonnant au terme de Magie moins le sens qu'il avait pu revêtir dans l'Antiquité que celui de « métaphysique pratique » évoqué par R. Bacon. Et à cet égard, UR aurait pu sans réserves faire sienne la définition qu'en donna Kremmerz : « Globalement, la magie n'est rien d'autre qu'un ensemble de théorèmes démontrables et d'expériences aux effets très concrets. Pour abstraites qu'elles soient, les vérités magiques se démontrent d'une façon indiscutable par la « réalisation », au même titre que toute vérité mathématique abstraite possède son application mécanique » [Note : G. Kremmerz, Avviamento alla Scienza dei Magi , Milan 1940, p. 48] .

Pour tenir également compte, comme dirait un Oriental, du dharma de l'homme occidental, de son esprit pratique et de son activisme, UR se fit une règle d'adopter les mêmes critères de froide objectivité technique que la science positive dont ce dernier est tant infatué. A tel point que, toute « valeur » morale ou culturelle, toute « exigence » sentimentale se trouvant ainsi impitoyablement bannies, on ne tarda pas à accuser le groupe d' « immoralisme » et même, à bout d'arguments, de « magie noire » !

 

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L'entreprise à laquelle UR conviait ses lecteurs n'était pas dépourvue de dangers — on le verra, certains textes ne sont pas à mettre entre toutes les mains : « brûlers de charbon » et présomptueux, gare aux courts-circuits et aux retours de flamme !

Par ailleurs, il ne faut pas se cacher qu'une telle démarche — « où l'attention se portait essentiellement sur cette formulation spéciale du savoir initiatique qui obéit à une attitude active, souveraine et dominatrice par rapport au spirituel » [Note : Le Chemin de Cinabre , op. cit ., p. 79] — n'était pas exempte d'une certaine emphase et d'une certain esthétisme « autarcique ». C'est ainsi qu'entre ce qui relève encore du surhomme et ce qui appartient déjà au non-humain, la frontière apparaît par moments singuliérement floue : s'agissant tout spécialement d'écrits de jeunesse, il va sans dire que discernement et esprit critique s'imposent. On ne manquera pas, ici, de relever l'influence très forte qu'exerçait encore Nietzsche, à l'époque, sur Evola et qui dans certaines monographies revêtit notamment les traits d'une violente polémique anti-chrétienne. A son crédit, il convient de souligner que lorsque ce dernier revit, quelques vingt ans plus tard, les textes d' UR pour l'éditeur Bocca, il n'hésita pas à faire des coupes sombres dans les textes en question (cf. par exemple l'article intitulé « L'Art des Philosophes d'Hermès »).

Au chapitre des influences, signalons enfin celle de la philosophie allemande : on le verra, certaines analyses doctrinales très serrées se ressentent parfois d'une lourdeur bien germanique qui ne trompe pas.

Ces réserves faites, il ne nous appartient pas de porter un jugement de fond sur un ensemble inestimable de textes dont la plupart des orientations résonnent aujourd'hui encore comme d'impérieux mots d'ordre.

A ceux qui estimeraient avoir la qualification pour le faire, deux mots pour finir. Lorsque l'expérience d' UR s'acheva, Evola avait 32 ans. Et en de nombreux domaines, c'est pratiquement seul qu'il dut s'ouvrir une voie.

G.B.

 

 

 

 

Note de l'éditeur

 

Chaque fois qu'ils présentaient un intérêt particulier, nous avons pris le parti d'intégrer aux textes 1927-1929 ceux qu'Evola avait lui-même ajoutés lors des rééditions ultérieures d'UR-KRUR sous le titre général d' Introduction à la Magie . C'est par exemple le cas pour l'article intitulé « L'ésotérisme, l'inconscient et la psychanalyse ».