ANTONIN ARTAUD


SATAN

 


VIE ET MORT DE SATAN LE FEU


Feu méchant qui monte,
projection parfaite et symbole de la volonté irritée et qui se rebelle,
image unique de la rébellion,
le feu sépare et se sépare,
il disjoint et brûle lui-même,
ce qu'il brûle c'est lui-même,
IL SE PUNIT.

Être à définir
mais constitution de l'idée d'Être
qui est négation plus qu'affirmation
quand on la pousse,
attaque de l'idée anthropomorphe de l'Être, résolution des antinomies, des doutes, des troubles, des problèmes par cet exposé dramatique de la disparition de la notion d'Être où d'ailleurs apparaît Satan.

Avant d'être une histoire, je veux dire d'appartenir à l'histoire, et quelle histoire, Satan est une image immense, mais qui craque comme un bûcher de chêne épais : il craque parce qu'il se défait. Une torride et dérisoire image, un espace vide et qui brûle.
C'est le désert.
Et certes les feux de l'enfer n'ont rien à voir avec sa nature, et si je parle d'un désert, et qui brûle, ce n'est pas en me ressouvenant de l'enfer.
Un étrange mouvement de l'esprit me pousse à rechercher un principe, à le réduire alchimiquement ; et le moyen de la réduction c'est le feu.

Mais Satan réduit, calciné
et qui commence à mourir à lui-même
est lié à l'image du feu
par un effet d'une tension extrême
qui ressemble à tout ce qu'il est.

C'est donc plus par abstraction que par nature que Satan me ramène au feu. - Et la nature à son tour ne me ramène pas l'abstraction, mais c'est l'abstraction qui me fait inventer la nature, dans une sorte d'infernal mouvement.
Car je tire de rien quelque chose et non de quelque chose le Rien.

Il m'importe beaucoup de commencer ce livre consacré à l'esprit de Satan, et fait si je puis dire avec cette respiration indicible (où le souffle qui naît s'applique à se vider de lui-même, à se châtrer de son mouvement) conforme à l'esprit de Satan ; il m'importe beaucoup de commencer cette histoire du désespoir de la pensée humaine, par une affirmation d'idéalisme. Mais cet idéalisme me sauve de poser des problèmes, qui sont aussi des reflets de Satan.
Je veux dire, et je m'explique abondamment dans ce livre, que tout ce qui nous empêche de vivre n'est qu'une réfraction de la pensée satanique, abîmée par le [ ] de l'humain.

 

 

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LA RESPIRATION QUI RETOURNE À DIEU…


La respiration qui retourne à Dieu,
la face supérieure de la bonté céleste que le mal a contaminée,
sorti du limon bas, le vol des grues célestes rentre dans ce giron de Dieu,
le système des pleurs qui s'ouvre entre les astres traverse les veines et l'irrigation pulmonaire de Dieu.
Le tourbillon rayé du bien que contaminé.

Comme un vol de cloches ou d'oiseaux le tourbillon translucide des neiges commence à irriguer l'étendue,
et je suis celui qui ne reviendra plus, dit dans un cri de glace chaque flocon qui rentre dans sa veine, filon durcifié d'âmes et de pleurs,
la pluie d'âmes commence à irriguer l'étendue,
sortie du giron doux de Dieu,
voici que la pluie d'anges,
avec la tournure mouvante d'un esprit ébloui et qui cherche le grand chemin,
semblable d'un côté à un ange et de l'autre avec la face de Satan,
la cohorte éparpillée des âmes tombe en pluie, et fait renaître l'étendue qu'elle crible et qu'elle situe dans la masse dansante des atomes un par un reconnus et dénombrés jusqu'à l'infini.

La couleur bleue d'une terre invisible aux dimensions incaccoutumées s'étend en nappes de glace, comme une pluie de miroirs crucifiés,
à la minute même où le sentiment naît, la coulée du limon supérieur s'installe dans les veines de Dieu par appétit et par désir,
il s'amplifie et s'installe avec un bruit harmonieusement comprimé,
et d'un seul mouvement voici que le système, gelé, montre ses arcanes semblables aux arcades d'un pont qui relierait deux immensités.